Elaboration d’une méthode pour évaluer l’âge des cétacés à partir de leur longueur de télomères
Joanna Prime et Michel Fournier de l’ INRS-IAF, La station de recherche des îles Mingan sur les cétacés (MICS), le Groupe de Recherche et d’éducation sur les Mammifères Marins (GREMM).
Pour
connaître l’âge de la plupart des mammifères vivants, il suffit de
regarder leur dentition. Malheureusement, cette technique ne s’applique
pas à tous les mammifères, notamment les mammifères marins. A l’heure
actuelle, il est donc impossible de déterminer l’âge d’un cétacé vivant,
à moins de l’avoir vu naître.
La technique consistant à compter
le nombre de couche de dentine, élément composant la dent, à partir
d’une coupe transversale de dent, s’applique actuellement sur les
carcasses des cétacés à dents, appelés odontocètes. En effet, il est
impossible d’endormir ces animaux, donc impossible de les immobiliser
afin de prélever quelques dents. De plus, cette méthode ne peut
s’appliquer aux mysticètes, ou baleines à fanons, car elles ne possèdent
pas de dents.
Ici, nous avons tenté de déterminer l’âge des cétacés, sans endommager les animaux, en mesurant leurs télomères.
Qu’est-ce qu’un télomère ?

Afin
de maintenir les tissus de notre corps, les cellules vivantes qui les
constituent se divisent continuellement (division cellulaire). Les
chromosomes, qui portent l’information génétique, se dédoublent peu de
temps avant la division cellulaire. Ce phénomène est appelé la
réplication de l’ADN. La machinerie qui s’occupe de cette action ne
permet pas de répliquer la fin des chromosomes. Pour palier à ce
problème, il existe une partie ne codant pour aucune fonction vitale à
la fin des chromosomes. Cette région est appelée télomères.
Donc,
si les cellules se divisent avec l’âge des organismes, les télomères
tendent à diminuer. Ainsi, la taille des télomères reflète l’âge de la
cellule. Mais l’âge de la cellule reflète-t-il l’âge de l’individu ?
Comment mesure-t-on les télomères ?

Tout
d’abord, il faut pouvoir prélever du tissu de baleines. Les espèces que
nous avons étudiées ici sont le béluga (odontocète) et le rorqual à
bosse (mysticète). Ces deux espèces se retrouvent dans l’estuaire et le
golfe du Saint-Laurent, Québec, Canada.
La peau de bélugas est
prélevée à partir de bélugas échoués, conservée au froid et transférée
dans une solution conservatrice. Celle des baleines à bosse est prélevée
avec une arbalète, sur des animaux nageant librement et placée dans la
même solution conservatrice.
Pour extraire l’ADN, matière
contenant l’information génétique, on broie le tissu. Cette action
permet de séparer toutes les cellules. Puis, on fait éclater les
cellules grâce à une solution appelée lyse cellulaire. Après
centrifugation, l’ADN se retrouve au fond du tube.
Les télomères
sont séparés du reste de l’ADN par une coupure nommée digestion
enzymatique. Les fragments obtenus sont mesurés à l’aide d’une sonde
radioactive télomère-spécifique.
Quels sont les résultats obtenus ?
Pour
la première fois, la séquence qui compose les télomères des baleines à
bosse et des bélugas a pu être identifiée. Elle est la même que celles
de beaucoup d’autres mammifères comme l’homme. La relation entre l’âge
et la longueur des télomères n’est pas significative pour ces deux
espèces. Ces courbes ne peuvent donc pas servir de référence afin de
déterminer l’âge de nouveaux individus. Cependant, on peut observer une
tendance à la diminution chez les baleines à bosse qui n’est pas
présente chez les bélugas.
Et la télomérase dans tout ça ?

Pour
éviter ce mécanisme de raccourcissement des télomères, certains types
cellulaires proliférants (comme les cellules servant à la reproduction)
possèdent un système permettant de rallonger les chromosomes. Cette
machine est appelée la télomérase. Elle permet de garder intacte
l’information génétique et de ne pas léguer à notre descendance un
héritage trop vieux.
On a retrouvé cette télomérase dans des échantillons de peau de bélugas.
Conclusions de cette étude ?
La
séquence des télomères rencontrée chez les bélugas ainsi que chez les
baleines à bosse a pu être identifiée. Pour les baleines à bosse, la
courbe “Longueur des télomères en fonction de l’âge” montre une tendance
à la diminution mais cette relation est non significative. Il serait
intéressant de poursuivre ces expériences sur un nombre plus grand
d’individus pour confirmer cette tendance. Pour les bélugas, cette
courbe ne montre pas de relation significative. La télomérase, qui
rallonge les télomères, est active dans les 2 biopsies testées. Des
travaux sur des bélugas vivants, d’âge connu, effectués en parallèle
avec la population de bélugas de l’Arctique comme contrôle négatif nous
permettrait de savoir si cette activité télomérasique est liée aux taux
de contaminants présents dans l’Estuaire du Saint-Laurent.